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L’avenir de la culture rime-t-il avec numérique ?

Article publié le 18/12/2023

  • #IMPACT

Temps de lecture : 4min

Retours sur le diagnostic “compétences et métiers d’avenir dans la culture”

Dans le cadre de France 2030, le gouvernement s’interroge sur les compétences et les métiers de demain et sollicite l’analyse des acteurs économiques. Deux rapports concernent le secteur culturel, voici les grandes lignes de celui du Cunuco Lab, que HACNUM a co-porté.

« Cunuco Lab, le co-lab des cultures numériques » porte un nom singulier à l’image du consortium qu’il désigne : TMNlab, une communauté de professionnel.les du spectacle vivant qui interroge les interactions entre numérique et arts vivants, HACNUM, le réseau national des arts hybrides et des cultures numériques, et la Guilde des vidéastes, un rassemblement de professionnel.les de la création audiovisuelle diffusée sur Internet, qui a, depuis, cessé son activité.

La méthode choisie par le consortium s’appuie sur des entretiens au long cours avec une quarantaine de « grands témoins », sur une enquête de terrain auprès d’une centaine de membres des trois réseaux, et sur des données quantitatives issues de divers rapports et travaux de recherche.

Le numérique n’est pas une question technique

En premier lieu, le diagnostic fait état des transformations induites par le numérique qui traversent les arts vivants, comme les arts numériques ou la web création. Concernant les usages et comportements du public, elles s’avèrent nombreuses et hétérogènes : co-création et nouvelles sociabilités, montée des droits culturels, formats ultra-courts (Tik Tok), hyperchoix, personnalisation et omniprésence des écrans, achats sur les plateformes numériques et, en contre-point, attente renouvelée de convivialité dans les lieux culturels, etc. Du point de vue des artistes et de la création, les développements récents de l’intelligence artificielle compliquent la question du droit d’auteur, démocratisent les capacités créatives – déjà facilitées par les outils numériques des générations précédentes – remodèlent les possibles, renouvellent les esthétiques. Les équipes de production et les lieux sont, eux, contraints de repenser leurs modèles économiques et leurs stratégies de diffusion pour accueillir des créations hybrides, immersives, transmedia qui demandent beaucoup d’agilité, des dispositifs peu réutilisables et peu reproductibles, ainsi qu’une multiplicité de supports de diffusion dont le rôle et le format différent (lieu physique, streaming, réseaux sociaux, NFT, mondes virtuels) donnent lieu à des hybridations complexes. Côté communication et marketing, la question des données devient incontournable et fait basculer le secteur, d’une politique centrée sur l’offre vers une politique centrée sur les publics, ou tout au moins opère un rééquilibrage.

Ainsi, le numérique comporte, certes, une dimension technique, mais l’enjeu principal réside dans la façon dont les outils numériques agissent sur les comportements, les modes de travail, les écosystèmes (mutualisations, nouvelles coopérations, glissement de la valeur, etc.).

Une nécessaire montée en compétence des équipes dirigeantes

« La culture est-elle encore un secteur d’avenir ? », s’interroge les auteur·rices du rapport, alertant sur la méconnaissance des mutations à l’œuvre dans le sillage du numérique, une situation qui pourrait menacer l’indépendance des structures culturelles et leurs capacités à remplir leur mission d’émancipation par la culture et de soutien à la création artistique. Par conséquent, le rapport recommande la création d’un socle commun d’apprentissage du numérique, adapté au secteur culturel et destiné à l’ensemble des équipes (cf. Schéma « les 5 piliers des compétences numériques »). Le diagnostic insiste, ensuite, sur le besoin de montée en compétences des équipes dirigeantes et des acteur·rice·s des politiques publiques, afin d’être en capacité de construire une vision stratégique et éclairée incluant les questions numériques dans une perspective socialement juste et écologiquement soutenable. Enfin, le diagnostic identifie douze blocs de compétences clés, spécifiques à des métiers ou des domaines de responsabilités : « Manager des équipes projet dans un contexte de transformation digitale et d’innovation », « Mettre en œuvre une stratégie de découvrabilité », etc. (cf. Schéma « Douze blocs de compétences »).

Les 5 piliers des compétences numériques
12 blocs de compétences

Une action de formation entravée par une offre non adaptée et des contraintes réglementaires

À la lecture des témoignages et de l’enquête terrain, le numérique apparaît bel et bien comme un enjeu majeur du secteur culturel, mais dans la réalité, il fait figure de grand absent lorsque l’on observe les formations réellement suivies. Les chiffres de l’Afdas révèlent, en effet, que les formations dispensées, dédiées au numérique, ne représentent que 5% du total des formations dans le spectacle vivant, 10% pour l’audiovisuel et 11% pour les artistes-auteur·rice·s. En outre, les formations sont principalement ciblées sur des approches techniques ou bureautiques. Cette situation peut s’expliquer, en partie, par le fait que les budgets de formation des structures sont fortement grevés par des formations obligatoires (sécurité, santé, etc.) et qu’historiquement le mode d’apprentissage en pair-à-pair et en autodidacte est prépondérant dans le monde de la culture et du numérique, comme le confirme l’enquête terrain du Cunuco Lab : « 75,58% se forment par de la veille, 62,79% à travers des événements professionnels« .

Considérant l’offre de formation, le diagnostic note « d’une part, l’insuffisance ou le caractère lacunaire des possibilités de formation au regard des compétences nécessaires dans un contexte de transition numérique ; d’autre part, une grande méconnaissance de l’offre existante par les professionnels« . Céline Berthoumieux, déléguée générale d’HACNUM et co-directrice du rapport, ajoute que « certaines technologies et pratiques sont tellement émergentes qu’il n’y a pas de marché pour les organismes de formation traditionnels « , un écueil renforcé par la réforme de la formation professionnelle, en raison du  » mécanisme de certification qui ne permet pas de développer une offre de formation sur des compétences émergentes ou encore peu stabilisées« , analyse Emmanuel Vergès, co-directeur de l’Observatoire des Politiques Culturelles.

7 recommandations pour faire advenir un secteur culturel apprenant

En conclusion de ce volumineux rapport de 140 pages, le diagnostic recommande de former à l’agilité numérique plutôt qu’aux outils numériques ; de faire une large place à l’expérimentation pour pallier la dimension émergente des pratiques et des technologies ; de concevoir des espaces de coopération et de mutualisation ; de s’appuyer sur le pair-à-pair et de le valoriser ; d’hybrider les parcours de formation des métiers du numérique avec ceux de la culture ; d’articuler formation continue et initiale avec d’autres formats pédagogiques (open badges, formations-actions, communautés apprenantes, appui-conseil, etc.) ; d’accompagner la professionnalisation d’un point de vue collectif plus qu’individuel en travaillant à l’élaboration concertée de nouvelles normes professionnelles. « Il y a un potentiel inexploité de transmission des savoirs du secteur de la web création, de la création hybride et des arts numériques vers les autres secteurs culturels. Nous avons un intérêt évident à croiser les savoirs, à devenir ensemble un secteur culturel apprenant, car les arts vivants ont aussi beaucoup à nous apprendre« , conclut Céline Berthoumieux.

À noter que la publication prochaine (fin 2023) du diagnostic « Culture et création en mutations (2CM) » porté par le Cnam, permettra d’approfondir la transition écologique du secteur culturel, abordé en filigrane par Cunuco Lab.

Rédaction Chrystèle Bazin

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