Article publié le 14/06/2024
Temps de lecture : 7min
Video Mapping Festival 2022 – Senlis – Église Saint-Pierre
Avec l’appel à projets “Culture immersive et métavers” intégré au massif plan d’investissement de France 2030 (1 milliard d’euros pour le secteur des Industries Culturelles et Créatives), ce sont 150 millions d’euros* qui vont être consacrés à l’innovation et à la structuration d’une filière XR. L’objectif ? Améliorer la production et la distribution/diffusion de contenus immersifs et soutenir l’excellence culturelle du “Made in France” à l’international. Présentation de cet appel à projets…
Une ambition de faire émerger les “pépites du secteur”
Tous les secteurs des ICC (l’audiovisuel, le cinéma, le spectacle vivant, le gaming…) peuvent être concernées par “Culture immersive et métavers”, avec l’idée de « faire émerger les nouvelles pépites du secteur » comme le mettait en avant Fabrice Casadebaig, Coordinateur national de la stratégie Industrie culturelles et créatives du SGPI (Secrétariat général pour l’investissement qui coordonne le plan d’investissement de France 2030 sur le volet culture) lors de la réunion de présentation de l’AAP à destination des professionnels du jeu vidéo en avril dernier. Un principe d’excellence et d’ambition, comme le soulignait le même jour Sébastien Thévenet, du DGMIC du Ministère de la Culture (Direction générale des Médias et des Industries culturelles), en appuyant la nécessité d’un « soutien à l’ensemble de la chaîne de valeur dans un système concurrentiel fort ». « L’objectif est de créer et développer à travers cet AAP et le déploiement des nouvelles technologies immersives, une structuration et industrialisation d’un écosystème souverain », concluait-il.
Les technologies immersives en question : la réalité augmentée (AR), la réalité virtuelle (VR), la réalité mixte (MR) ou les métavers dont l’emploi explicite dans l’intitulé de l’AAP et sa définition floue a de quoi étonner (lire Métavers : le flou artistique). Quoi qu’il en soit, l’intention est affichée : « Nous avons besoin de structurer le secteur en l’aidant à passer à la vitesse supérieure car pour l’instant on est encore trop dans une logique de prototype où chaque studio doit inventer son modèle pour chaque projet », explicite Olivier Fontenay, Chef de service de la création numérique au CNC (opérateur pour le compte de l’État), en précisant des modalités qui peuvent par exemple aboutir à des logiques mieux assumées de séparation des tâches (entre la partie R&D, la production de contenus et la chaîne de diffusion par exemple).
Pas un soutien à la création, mais à l’innovation
L’AAP entend laisser une marge de manœuvre à chaque projet afin de ne pas brider la créativité des propositions. Olivier Fontenay rappelle cependant qu’« il ne s’agit pas d’un appel à projet pour créer des nouvelles œuvres comme nous pouvons en soutenir à travers le Fonds d’aide à la création immersive du CNC ». Et précise, à titre d’exemple, deux angles potentiels : d’abord, la création d’une chaîne de production numérique intégrale, allant de la création d’un studio/laboratoire à la mise en place des outils logiciels, et intégrant toutes les solutions technologiques (intelligence artificielle, moteurs graphiques, technologies de captation, modélisation et animation 3D, composantes hardwares, outils de création en temps réel, diffusion et stockage, etc.) pour permettre la création de contenus ; Ensuite, tout ce qui touche à la distribution de ces même contenus, selon le même crédo de structuration et d’innovation.
Le premier angle se rattache à la création de « briques technologiques souveraines » concourant à la production d’expériences culturelles immersives : des éléments d’innovation technologiques susceptibles de venir se greffer à un moteur global informatique universel, et qui donnerait une labellisation française à ces outils spécifiques (on peut ainsi imaginer des éléments fonctionnels issus de la motion capture, ou une banque de données permettant de faire jouer ensemble 1 000 casques virtuels). Pour le deuxième angle lié à la diffusion, pourrait être imaginée la création d’agrégateurs numériques adaptés pour la diffusion des œuvres, d’une plateforme technologique sur laquelle pourrait se greffer les différents contenus immersifs, d’un réseau de salles innovantes de type LBE (Location Base Entertainment), ou encore d’un univers 3D persistant qui permettrait à chaque établissement public français de mettre en valeur son patrimoine et ses collections sous forme d’espaces 3D partagés.
Processus de candidature et comité d’experts
Si le processus de candidature est bien défini au niveau calendaire (avec trois sessions dont la première fixée au 2 juillet 2024), les différentes institutions parties prenantes optent pour une logique d’accompagnement. « Toutes les entreprises et établissements publics qui le souhaitent peuvent prendre rendez-vous avec nous, en amont de leur candidature, pour que nous puissions échanger sur leur projet, voire réfléchir à la viabilité des interfaces qu’elles souhaitent mettre en place », précise Olivier Fontenay.
Là aussi, une certaine liberté est de mise. Structures publiques ou privées, quelle que soit leur taille, peuvent candidater, seules ou à plusieurs, en partenariat voire en consortium. Comme l’indique encore Olivier Fontenay, « la taille de l’entreprise est moins importante que le projet structurant qu’elle peut éventuellement porter. Si le projet d’une PME de cinq salarié·es a du sens, on l’accompagnera ». Des principes forts, comme les critères environnementaux à respecter et la nécessité d’être une entreprise saine économiquement, sont néanmoins affirmés. L’ambition des projets doit également se retrouver dans des budgétisations conséquentes. « L’assiette minimale du projet présenté doit être de 80 000 euros (pour la demande d’aide en ingénierie) et de 400 000 euros pour la demande d’aide à la réalisation du projet », détaille ainsi Romain Dudognon de BPI-France (opérateur pour le compte de l’État), en précisant que l’« on recherche des projets qui soient un minimum emblématique, avec une capacité structurante pour l’écosystème et la filière, d’où ce seuil minimum. »
Pour la sélection proprement dite, un comité d’experts comprenant de 12 à 15 personnes va être mis en place pour sélectionner les projets sur le plan de la pertinence et de la faisabilité avant audition et validation. Le premier volet des candidatures de l’AAP déjà ouvert, il aurait été plus transparent d’annoncer officiellement la liste des membres du comité. Une exigence appréciée notamment au regard de l’envergure de cet appel à projets (ndlr : à date de publication – 10/06/24, aucune annonce n’a été faite). D’autant plus après la polémique révélée en novembre 2023 par le Canard Enchainé sur la commission “Création immersive” du CNC présidée par Jean-Michel Jarre. « Ce seront des gens très compétents pour pouvoir juger de projets sous leur angle structurant et innovant, mais aussi des personnes non impactées par d’éventuels conflits d’intérêts », tente de rassurer Olivier Fontenay. « Ce seront des personnes en provenance de l’industrie ou du circuit universitaire, des personnes sachant réaliser des œuvres immersives ou qui ont une expérience dans la méthodologie de production. En clair, on cherche des compétences. Et il s’agira des mêmes personnes pour chacune des trois sessions pour des questions d’équité et de continuité. »
Vers une nouvelle filière immersive ?
Les délais approchant, les premiers projets commencent à se mettre en place. Les grands établissements publics sont ainsi tentés, à l’image du Théâtre National de Chaillot qui réfléchit à la structuration d’un laboratoire/espace de création, de production et de monstration pour permettre aux artistes d’investir les nouvelles technologies AR, VR et motion capture. Un projet ambitieux et inscrit dans la durée, se moulant dans la perspective du futur « Chaillot Augmenté ».
D’autres acteurs historiques de la création immersive, ne sont pas en reste. Du côté de l’équipe des Rencontres Audiovisuelles, structure-mère du Video Mapping Festival, on se prépare pour la première session de juillet. « Nous avons un projet de développement de filière vidéo mapping, qui sera en partie axé sur le mapping immersif », explique le directeur Antoine Manier. « Le mapping immersif est actuellement sous-représenté chez nous au détriment du mapping monumental (moins de 10% de nos projets). Il n’y a par ailleurs aucun lieu de création de mapping immersif pérenne en région. Par le biais de l’AAP, nous souhaiterions créer un laboratoire/espace immersif qui permettent de faire des résidences d’artistes pour des créations immersives, et de la formation pour des profils techniques et artistiques ».
De fait, le projet donne ici bien l’impression de s’inscrire dans l’objectif de structuration de secteur de l’AAP, avec une vocation technologiquement innovante et des retombées économiques à la clef. « En région la majorité des projets de mapping sont des projets de mapping monumentaux, réalisés à la demande de collectivités qui souhaitent proposer des événements gratuits pour tous et ainsi valoriser leur patrimoine. Ces productions génèrent ainsi des emplois et les compétences qui vont avec. Monter un espace dédié au mapping immersif au sein d’une filière mapping élargie serait donc parfaitement complémentaire à nos outils actuels. »
Encore des points à éclaircir
Si l’appel à projets “Culture immersive et métavers” est donc séduisant sur le papier, beaucoup de questions restent en suspens. D’abord rappelons que globalement France 2030 vise à objectif de décarbonation des activités économiques – y compris du secteur des ICC – et interroge donc sur la soutenabilité d’une filière immersive et métavers. Cela mériterait au moins d’être débattu. Ensuite la complexité technique des appels à projets qui nécessite certaines compétences de montage de projet et l’usage explicite d’un vocabulaire très business, peu adapté à la Culture (“pépite”, “chaîne de valeur”, “contenus”…) interrogent fortement. Autrement dit, quelle place y aura-t-il, in fine, pour les acteur·rices de la culture ? Des structures de différentes tailles – établissements culturels, associations, compagnies, studios… – travaillent depuis des décennies sur tous ces enjeux liés à la création numérique et à l’immersif (voir liste des membres du réseau HACNUM). Dans quelques mois, à l’annonce des résultats de l’AAP, on verra réellement qui fait partie de ce nouvel écosystème “Made in France”…
Rédaction Laurent Catala
* “Culture immersive et métavers” représente une enveloppe de 150 millions d’euros, plus 50 millions supplémentaires destinés à financer les technologies du métavers hors champ de la culture.
Agenda : Une table-ronde « Culture immersive et métavers, les opportunités France 2030 pour le spectacle vivant », est organisée le 5 juillet 2024, au Grenier à Sel à Avignon. Cet événement fait partie du programme des rencontres SVSN | spectacle vivant, scènes numériques, dont HACNUM est partenaire. |
L’auteur de l’article Laurent Catala est journaliste spécialisé dans de nombreuses approches créatives transversales et technologiques, en lien avec le design et l’architecture, les arts numériques, le spectacle vivant, la musique, les innovations graphiques et multimédia, les questions de performance et d’installations dans l’espace public ou relatives à la scénographie d’intérieur. |
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