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Explorer les porosités entre performances audiovisuelles et cinéma (Christopher Nolan à la Biennale Némo)

Article publié le 27/10/2023

  • #RETEX

Temps de lecture : 4min

A Ronne – Gand – 2023
© Isabel Pousset

Les 25 et 26 novembre, la Biennale Némo organise un week-end autour de l’œuvre de Christopher Nolan. L’occasion pour la manifestation d’arts numériques de décrypter son thème « Je est un autre ? » au prisme du médium cinéma.

Après Blade Runner en 2021, c’est au tour de Christopher Nolan de passer sur la table de dissection des artistes, philosophes et scientifiques de la biennale Némo. Un tournant cinématographique qui peut étonner, mais qui s’inscrit parfaitement dans l’ADN de ce festival des arts numériques. « Dès 1998, Némo a commencé comme un festival dédié au cinéma indépendant et expérimental, puis aux nouvelles images », retrace Gilles Alvarez, directeur artistique de Némo, lui-même ancien cinéaste et exploitant de salles de cinéma. Internet en est encore à ses débuts et le festival Némo propose une programmation orientée vers le motion graphic design, les films 3D, la cinématique des jeux vidéo… Et puis, Internet est « devenu fluide, dit-il. Toutes ces images sont passées d’expérimentales à omniprésentes ».

Les films en rhizomes de Christopher Nolan

Gilles Alvarez insiste : il n’oppose pas le cinéma et l’art numérique ; au contraire, les deux s’articulent dans une certaine logique. « Les performances audiovisuelles sont du cinéma augmenté », propose-t-il, en référence notamment à l’expanded cinema, cinéma expérimental de la fin des années 60 où le film sort de l’écran pour inclure le spectateur dans l’œuvre et lui donner un rôle actif. « Pour moi, ce sont les origines des performances audiovisuelles telles qu’on les voit aujourd’hui. »

Blade Runner, le corpus de Christopher Nolan, pourquoi pas celles de David Cronenberg ou David Lynch dans une prochaine édition… Les œuvres choisies par la Biennale Némo répondent à un certain profil. « Ce sont des cinéastes qui flirtent avec la science-fiction, le fantastique, mais qui ont aussi des narrations élastiques, des univers enchevêtrés, proche de l’Internet ou des jeux vidéo. Mulholland Drive, c’est un métavers à lui tout seul », illustre le directeur artistique. Ainsi, les films de Nolan « sont des rhizomes, des puzzles, proches de l’univers du numérique et de l’interactivité ».

Les personnalités multiples de Batman

Art populaire et rassembleur, le cinéma permet d’aborder des thématiques complexes et pointues. « Dans la sphère des arts numériques, le sujet des arts et des sciences est primordial. On peut l’aborder en faisant collaborer des artistes et des scientifiques. C’est parfois très bien, mais ça peut aussi être décevant », estime Gilles Alvarez. Autour du médium cinéma, la Biennale réunit un panel d’experts multidisciplinaires : l’astrophysicien Roland Lehoucq, le docteur en littérature Clément Pélissier, la docteure en musicologie Emmanuelle Bobée ou encore l’artiste et chercheur Donatien Aubert et le réalisateur Ismaël Joffroy Chandoutis. Un casting pluriel pour lire l’œuvre de Christopher Nolan sous le prisme du thème de la Biennale, « Je est un autre ? ». « La question de « personnalités multiples » est au cœur des films de Nolan, écrit Gilles Alvarez en introduction de ce weekend. Nous pensons d’emblée aux différents masques d’apparence et à la schizophrénie des protagonistes de la trilogie Batman. Le personnage de Robin Williams n’est-il pas double de celui d’Al Pacino dans Insomnia ? Memento n’est-il pas la quête de ce que l’on est, de ce que l’on a été, et ce que l’on essaie de redevenir ? Oppenheimer lui-même est représenté à la fois par sa propre vision (en couleur) et par la « réalité », ou plutôt la vérité du moment (en noir et blanc). Il s’est lui-même fabriqué plusieurs façades sociales et son « je » est incontestablement « un autre ». »

© Peter Stain Illustration

Illustration de la continuité entre cinéma et arts numériques, l’œuvre du réalisateur entre en résonance avec les pièces présentées dans l’exposition de la Biennale. Ainsi, le cinéma du traumatisme de Nolan – la mort des parents de Batman ou la défaite de Dunkerque comme déclencheurs de la narration – fait écho aux traumatismes liés aux biais toxiques du numérique observés dans la Biennale. À ce sujet, l’artiste belge Emmanuel Van der Auwera présente Wake me up at 4:20, installation vidéo par laquelle il explore les suicides par mèmes, soit des challenges en ligne destinés à des adolescents qui les enjoints à suivre des instructions et peu à peu les incitent à se donner la mort. Donatien Aubert, membre du comité éditorial du weekend autour de Christopher Nolan, décrypte comment le projet Oppenheimer s’inscrit en parallèle de la cybernétique et des projets militaires de créer des soldats augmentés, à l’image de Batman, humain normal mais augmenté par son appareillage. Dans la Biennale, l’artiste présente Veille Infinie, installation numérique par laquelle il raconte l’histoire des télécommunications, du morse jusqu’aux intelligences artificielles, et leurs implications politiques, économiques et sécuritaires. « Les obsessions de réalisateurs comme Cronenberg, Ridley Scott ou Nolan sont assez proches des obsessions des artistes numériques », observe Gilles Alvarez. «  Je ne vois pas de différences éthiques, épistémologiques. Ça interroge l’époque dans laquelle on vit et c’est ce qui est intéressant. Némo est la biennale de l’ère numérique plus que des arts numériques. »

« Blockbuster expérimental »

Exigeant mais accessible, la Biennale Némo peut se revendiquer de l’éthos du maître du « blockbuster expérimental ». « La philosophie de Némo est d’être expérimentale pour les masses, présente le directeur artistique. La dimension pédagogique commence toujours par la fascination, la sidération, la beauté ou l’étrangeté, mais ça n’empêche pas que les œuvres aient quelque chose à raconter, voire qu’elles soient de l’ordre du lanceur d’alerte. » Une approche sans compromis que l’on retrouve chez le réalisateur. « Ce qui est formidable avec Nolan est qu’il a attiré des financements incroyables pour ses films tout en ne faisant pas comme on doit les faire : il tourne en pellicule, n’utilise aucun effets spéciaux, choisit des sujets complètement perchés. C’est un cinéaste qui a rendu les spectateurs et spectatrices plus intelligents. Quand je vois que des films aussi compliqués que Inception, Tenet ou Interstellar sont vus par des dizaines de millions de gens, je suis fier de mon espèce. » Un bon postulat de départ pour explorer la complexité de notre monde numérique.

Rédaction Elsa Ferreira

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