Article publié le 18/10/2023
Temps de lecture : 5min
Ambivalences – Scopitone 2023
© David Gallard
On réfléchit toujours mieux à plusieurs. Porté par Stereolux, Oblique/s et Electroni[k], le programme Ambivalences s’est conclu pendant le festival Scopitone à Nantes le 14 septembre dernier. Retour sur trois années de coopération fructueuse et de réflexions croisées.
Parfois, cycles de conférences et autres programmes de rencontres autour du numérique fleurissent un peu hors sol, au gré des vents contraires de l’actualité et des tendances. Avec Ambivalences, d’abord on se pose, puis on réfléchit. Lancé en octobre 2020 par trois acteurs des arts numériques – Electroni[k] (festival Maintenant) à Rennes, Oblique/s (festival ]interstice[) à Caen et Stereolux (festival Scopitone) à Nantes – ce programme commun et interdisciplinaire a stimulé les réflexions pendant trois ans autour de l’ambivalence du numérique et de ses impacts sociétaux, environnementaux et politiques, mais aussi pour faire émerger une critique constructive des arts hybrides et du rôle des artistes, producteurs ou diffuseurs dans ce domaine, le tout sur fond de philosophie et d’épistémologie. Bref, l’art de se poser des questions pertinentes sans avoir la prétention d’apporter des réponses à tout.
C’est ainsi que la genèse d’Ambivalences s’est ancrée dans des pratiques concrètes de coopération interrégionale mises en place ces dernières années par les trois structures porteuses dans le cadre de leurs activités de coproduction d’œuvres et d’organisation festivalière. “Plusieurs choses étaient en train de se nouer entre Stereolux, Oblique/s et Electroni[k] au sujet de leurs territoires respectifs et du financement croisé des œuvres que les collectivités pouvaient apporter”, raconte Martin Lambert, responsable du Labo Art & Tech de Stereolux. “Assez rapidement, l’idée de monter un programme entre les trois structures a émergé. Il s’agissait de prendre du recul sur nos pratiques : qu’est-ce qu’on a envie de traiter, qu’est-ce qu’on n’a pas l’habitude de traiter etc.” En parallèle, la structuration du réseau HACNUM créé en 2020 aura servi de catalyseur. “C’est là que la question de l’ambivalence du numérique s’est imposée, car elle nous semblait fondamentale dans nos réflexions et nos pratiques. Nous sommes partis sur une durée de trois ans, car avoir un sujet défini dans le temps permet qu’il ne s’étiole pas. Le temps long est important pour la veille comme pour les réflexions”, poursuit Martin Lambert.
Une règle de trois
Trois festivals, trois temps, trois fils rouges. La lecture complexe de ces ambivalences du numérique dans toutes les strates de la société a été décortiquée par le biais de ses mutations au cours de trois cycles fleuves – Mutations environnementales (2020/2021), Mutations du vivant (2021/2022) et Mutations politiques (2022/2023) lors du dernier Scopitone. Et chacun de ces axes de lecture a lui-même été décliné en trois chapitres. Un jeu de poupées russes structurantes pour ce programme au long cours dont l’ouverture s’est jouée à Rennes en 2020 pendant le festival Maintenant.
“Les sujets ont été déterminés en commun et les interventions ont été proposées par le lieu qui accueillait, mais à chaque fois, elles sont concertées, discutées, validées… Ce ne sont pas les Nantais à Nantes, les Caennais à Caen et les Rennais à Rennes”, explique Samuel Arnoux, directeur du festival Maintenant/Electroni[k] qui a pris ses fonctions il y a trois ans. “La conception de ce cycle sur les trois années a été bien pensée, les balises étaient bien ancrées. Donc, la mise en œuvre a été facilitée par tout ce travail en amont. ‘L’impact du numérique sur la société en dialogue avec la création artistique’ : ce canevas était bien clair, c’était une trame solide pour tous les trois, et donc facile de se mettre d’accord.”
À tour de rôle, les structures porteuses ont accueilli ces momentums. Consacré aux mutations environnementales, Ambivalences #1 a ainsi été inauguré à Rennes par un premier chapitre faisant l’état des lieux des relations entre art, numérique et environnement sur fond d’enjeux citoyens et d’actions publiques, suivi par “Take Care” au festival ]interstice[ à Caen en mai 2021 pour en finir avec la prétendue neutralité du numérique et son impact sur nos cadres de vie. Un premier cycle clôturé par le chapitre “Horizons” pendant Scopitone à Nantes en septembre 2021 engageant des réflexions sur l’articulation entre nature et technologie. Et aussi une porte d’entrée pour la deuxième saison d’Ambivalences dédiée aux mutations du vivant : les “Hybridations” entre art, vivant et technologies à Rennes en 2021 ; “A Scanner Darkly” questionnant les nouvelles modernités entre humain et non humain à Caen et “Les compagnons artificiels” en pleine déferlante des IA pendant Scopitone en 2022.
“Il était évident d’organiser Ambivalences pendant nos festivals”, poursuit Samuel Arnoux. “Nos trois structures organisent trois événements qui ont chacun des temps de rencontres et de débats. Plutôt que faire un one shot, on traçait une ligne claire, même s’il n’a pas toujours été simple de faire le lien pour que la programmation soit en résonance avec la thématique annuelle d’Ambivalences en essayant de mettre en écho des œuvres ou des contenus. Nous l’avons donc intégré aux rencontres pro, ce qui nous permet également d’associer un public ciblé et des étudiants, car à part certains membres d’HACNUM, rares sont sans doute ceux à avoir suivi toutes les conférences dans toutes les villes ! D’où l’importance des archives.”
Discours de la méthode (et du dialogue interdisciplinaire)
Artistes, ingénieur·es, chercheur·ses en sciences sociales, philosophes… Le dialogue interdisciplinaire engagé lors des discussions a notamment permis aux structures porteuses de s’ouvrir à un nouveau public, tout en ayant une approche réflexive sur leurs propres pratiques de production et de programmation. “Travailler une thématique par différentes approches sur la durée permet d’aborder ces sujets complexes en profondeur”, témoigne Luc Brou, coordinateur d’Oblique/s à Caen. “Ces conférences ont par ailleurs permis d’inviter nombre de personnes issues du champ de la recherche et des domaines académiques, pas seulement des professionnel.les de la création artistique.”
“Ce qui a été intéressant, c’est la place laissée aux sciences humaines”, confirme Martin Lambert. “Au Labo, nous avons toujours ‘historiquement’ travaillé avec les sciences dures, par exemple en mettant un informaticien face à un artiste. Là, les approches étaient plus philosophiques, elles abordaient l’impact sociétal, le cadre de vie, la citoyenneté… Nous avons été plus loin que ce que nous faisions avant. D’habitude, on fonctionne au one shot. En tant que programmateur, on peut être parfois un peu isolé. Pouvoir dialoguer avec ses homologues et co-construire quelque chose dans le temps dans nos festivals a été passionnant. C’est ce travail collaboratif que je retiens aussi.”
Alors que s’achève Ambivalences – première mouture -, le conséquent chantier d’archivage démarre. Des heures et des heures d’enregistrement, les présentations de dizaines d’intervenants, une masse de contenus… Car l’objectif d’Ambivalences n’était pas seulement de creuser un sujet dans la durée, mais d’inscrire cette démarche coopérative inter-structures dans le temps long pour servir de tremplin à de futures initiatives similaires au sein du réseau HACNUM ou ailleurs. En rhizome, en portage ou en partage, de nouveaux avatars d’Ambivalences verront, sans nul doute, le jour. À commencer par une rubrique éponyme que les lecteur·rices retrouveront dans HACNUMédia !
Rédaction Carine Claude
L’autrice de l’article Diplômée de l’École du Louvre et de la Sorbonne, Carine Claude est journaliste et critique d’art, spécialiste des arts numériques et des nouveaux médias. Elle a été directrice de l’information de l’agence de presse Art Media Agency et a travaillé pour L’Express, La Tribune, Poptronics ou encore MCD. Ex-Cheffe du service info de Makery, un média en ligne dédié au mouvement maker, elle est rédactrice en chef de la revue d’art AMA. Elle enseigne également l’économie du marché de l’art à l’IESA et le journalisme culturel à la Sorbonne. |
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