Article publié le 23/01/2024
Temps de lecture : 4min
Fin 2023, la DRAC Bretagne a publié une étude sur la création artistique en environnement numérique sur son territoire. Cette étude a pour objectif de présenter un état des lieux du secteur de la création numérique, des acteur·rices présent·es, des besoins répertoriés et des dynamiques existantes. Une série de préconisations a également été rédigée pour donner aux décideur·euses des pistes de développement. Synthèse des principaux enseignements de cette étude – transposables à d’autres territoires ? – avec son autrice, Anne Burlot-Thomas, consultante pour l’agence Talents Multiples.
“À l’origine, la DRAC Bretagne voulait comprendre les particularités de la création numérique et quels sont les acteurs qui œuvrent sur son territoire. Ce sont des informations qui ont longtemps été invisibles pour les institutions publiques et l’État.” Un état des lieux qui intéresse également d’autres services publics – comme la Direction Générale de la Création Artistique – qui pourront alimenter leur réflexion sur l’impact du numérique dans la création et les aménagements futurs. L’analyse a donc d’abord été nourrie à partir d’une documentation existante (littérature scientifique, données…) et en prenant en considération des évolutions récentes dans le secteur de la création numérique : “Il y avait des données à prendre en compte comme la fin du DICRéAM (ndlr : Dispositif pour la Création Artistique Multimédia et Numérique supprimé en 2022), l’émergence fulgurante de l’IA ou le plan “mieux produire, mieux diffuser” initié par le gouvernement”. Puis bien entendu le cœur de l’analyse repose sur une trentaine d’entretiens d’acteur·rices du territoire, professionnel·les de la production ou de la diffusion de création numérique comme Gaétan Naël, président d’Electroni[k] qui organise le festival Maintenant, et Damien Simon du Bon Accueil à Rennes, Alice Boinet, programmatrice artistique du festival Art Rock à Saint-Brieuc, Anne-Claire Lainé, directrice de Longueur d’ondes à Brest et plusieurs collectivités territoriales.
Les principaux points de l’étude
Concrètement quels sont les principaux enseignements de l’étude ? Le premier est assez récurrent dans la sphère artistique : il résulte de la difficulté de définir explicitement la création numérique. “Le sujet est complexe car on aborde des notions d’hybridation des média, des pratiques et des espaces… Les esthétiques sont nombreuses tant l’évolution des technologies a provoqué des modifications profondes et permis à des formes nouvelles d’émerger.” D’autant que l’organisation des politiques publiques culturelles françaises ne favorise pas toujours les décloisonnements disciplinaires.
Le deuxième porte sur l’écosystème : “Il y a un vrai dynamisme local mais peu de liens entre les structures qui sont souvent cloisonnées par disciplines. L’écosystème est finalement assez restreint” Les structures relèvent qu’elles ne bénéficient donc pas – ou peu – de soutiens structurants et pérennes et que les réseaux de diffusion manquent de perméabilité. “Heureusement il y a des échanges très intéressants entre les structures situées partout sur le territoire national.” Citons l’exemple des collaborations régulières de Maintenant (Rennes) avec Stereolux (Nantes), Chroniques (Aix-Marseille) ou ]interstice[ (Caen).
Pour Anne Burlot-Thomas, ce manque de lien entre acteur·rices locaux·les résulte d’abord de la faiblesse des moyens financiers : “Les artistes et les lieux de production et de diffusion quand ils ne sont pas adossés à un label ou un conventionnement solide, sont confrontés à une forme de pauvreté systémique qui les conduit à créer les conditions d’une précarité durable pour l’ensemble des professionnels qui sont impliqués.” explique t-elle dans son rapport. Et pourtant il existe une sorte de paradoxe : “À titre d’exemple, on peut voir que les moyens d’Electroni[k] ont peu évolué ces dernières années au regard des besoins, alors qu’en même temps les missions ont été élargies notamment sur les aspects de la production et de la diffusion. Au bout du compte, c’est toute la chaîne qui subit cette précarité.” À cela s’ajoute un autre constat paradoxal : si le numérique a largement investi nos vies quotidiennes, le soutien pour la création artistique en environnement numérique n’est pas vraiment proportionnel. Alors même que les artistes sont en avant garde sur les questionnements sociaux et les critiques autour du numérique.
Exception bretonne ou constat partagé ?
Des constats partagés par de nombreux·euses acteur·rices sur le territoire, au point de faire de la région Bretagne une illustration de la création artistique en environnement numérique en France ? “Il est vrai que les constats que l’on fait en Bretagne sont assez similaires aux autres régions. Dans l’ensemble les enseignements sont extrapolables d’une région à une autre. Mais il existe des différences à prendre en compte. Par exemple sur la particularité du tissu local. En Bretagne, il y a une vision politique forte sur la culture et une volonté d’avancer ensemble. Ce n’est pas le cas de toutes les politiques culturelles locales. Ensuite les régions jouent sur différents critères d’attractivité et les artistes qui ont une plus grande mobilité y sont sensibles.” Une nouvelle étude portant sur la région des Pays de la Loire, prévue pour 2024, confirmera les points communs et soulignera des différences.
Les préconisations pour le développement de la création numérique
En complément de ces constats, une série de préconisations va pouvoir aider les décideur·euses des politiques culturelles à éclairer leurs futures décisions. Les trois premières recommandations fonctionnent ensemble. D’abord en consolidant les moyens de production des artistes “On pourrait imaginer une commission interrégionale en plusieurs DRAC”. Ensuite en créant des plateformes de production et de diffusion comme l’a fait Chroniques Créations. Enfin en renforçant les pôles en région à la manière de HUB visant à déployer des actions à l’échelle régionale et nationale. Une autre recommandation consiste à partager les ressources à l’écosystème national notamment en améliorant la circulation des informations ou en mutualisant du matériel. Pour conclure, les structures reviennent régulièrement sur la nécessité de créer un lieu de production permettant des modes hybrides, avec un appui technique et ouvert aux publics. Des axes qui permettraient de structurer davantage la création artistique en environnement numérique et de s’autoriser à inventer de nouveaux imaginaires collectifs. Le monde actuel en a bien besoin.
Rédaction Adrien Cornelissen
La synthèse de l’étude est à télécharger ici.
L’auteur de l’article Au fil de ses expériences, Adrien Cornelissen a développé une expertise sur les problématiques liées à l’innovation et la création numérique. Il a collaboré avec une dizaine de magazines français dont Fisheye Immersive, XRMust, Usbek & Rica, Nectart ou la Revue AS. Il coordonne HACNUMedia qui explore les mutations engendrées par les technologies dans la création contemporaine. Adrien Cornelissen intervient dans des établissements d’enseignement supérieur et des structures de la création. |
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