Journal de bord : HACNUM à CHRONIQUES

Article publié le 11/02/2021

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Réseau HACNUM : travailler en résilience dans le réseau des arts hybrides et des cultures numériques

Finalement tout est encore possible ! C’est la prise de conscience que génère le travail collectif du réseau HACNUM – le Réseau national des arts hybrides et cultures numériques – illustré du 14 au 16 janvier 2021 entre Aix-en-Provence et Marseille, par les rencontres professionnelles CHRONIQUES, la Biennale des imaginaires numériques. Un événement et un mot d’ordre cardinal : « il ne tient qu’à nous de se prendre en main et d’inventer notre propre futur, ou au moins le futur des cultures numériques telles que nous les envisageons ! ». Retour sur une série de rencontres hors-normes dans le paysage épidémique hors-normes d’une année 2020 et 2021 hors-normes.

« Dans un territoire résilient, les habitants agissent ensemble pour leur bien commun »

Pascal Desfarges, « Les tiers-lieux et la résilience des territoires ». [1]

Drôle d’impression au premier abord quand nous pénétrons dans le hall vitré de la Galerie Zola d’Aix-en-Provence (Cité du Livre), située non loin du fameux Pavillon Noir et du Grand Théâtre de Provence, ce jeudi 14 janvier 2021 pour l’ouverture des Journées professionnelles de CHRONIQUES, la Biennale des imaginaires numériques. Une foule d’artistes, de programmateurs.euses, de médiateurs.trices, de producteurs.trices et de directeurs.trices s’agitent dans ce qui sera le forum central de ces rencontres, du 14 au 16 janvier. Un sentiment mêlé de joie et de très légère panique y est nettement perceptible, au point qu’un participant croisé ce premier jour n’hésitera pas à parler « d’étourdissement » à propos des sensations éprouvées durant les premières heures de ce rassemblement. Un témoignage qui en dit long sur le vécu des un.e.s et des autres dans le réseau des pratiques artistiques numériques au cours de ces derniers mois aussi frustrants qu’anxiogènes où l’isolement primait malgré les incessantes collaborations et les diverses activités en ligne. 

Éternité – Temporalité

S’il flottait également comme un parfum d’éternité ce jeudi 14 janvier 2021 dans le hall de la Galerie Zola, c’est certainement parce qu’il s’agissait d’une des rares fois où les acteurs.trices des arts hybrides et des pratiques artistiques numériques trouvaient le moyen de se réunir, de façon toute exceptionnelle, dans un même lieu physique. Pour beaucoup, le moment est une bulle relationnelle en « présentiel » dans un monde principalement vécu en « distanciel ». En plus de l’exposition de sa thématique centrale (L’Eternité), une autre raison à cette impression mitigée de temps suspendu et d’étourdissement tenait certainement dans la façon dont les équipes de ZINC (Marseille) et Seconde Nature (Aix) à l’origine de l’évènement ont su se réorganiser dans l’urgence, par delà les injonctions gouvernementales, en affrontant les nombreuses réunions de crises, l’obligation d’improviser d’une quinzaine (semaine) à l’autre en suivant des annonces contradictoires et des mesures de plus en plus restrictives. 

« Perpétuité I »- Felix Luque Sanchez à la Galerie Zola (Aix). © Gregoire Edouard

Le résultat ? Une biennale réinventée et numérisée ! Un hybride d’événements offline/online (visites, performances, ateliers, conférences sur plusieurs lieux) rendu éternel par la digitalisation d’une partie de son programme, et donc maintenue en vie « pour l’éternité » grâce à l’usage des technologies numériques qui en sont l’essence même. Mais ce succès tient aussi dans un effort de collaborations unanimes, et dans le dynamisme d’un réseau national (HACNUM)[2] et de ses acteurs.trices.

CHRONIQUES et HACNUM, le fruit d’un effort commun

Travailler les communs, ce n’est pas nouveau dans le domaine des arts hybrides et des cultures numériques. C’est même ce qui fait la particularité de cet écosystème aux activités diverses et (extrêmement) variées couvrant de nombreuses disciplines artistiques (ré)unies par de mêmes envies et de mêmes ambitions : 

  • Celles de renouveler les imaginaires et de mener une réflexion globale sur les enjeux et les impacts de technologies émergentes au sein de nos sociétés via les travaux d’artistes, de chercheurs.euses ou de designers.euses, d’abord. 
  • Celles, également, de répondre à divers besoins au niveau national : la structuration des activités, le développement (artistique, économique, logistique) et plus largement de défendre l’intérêt général des écosystèmes qui le composent.
« Zoryas » – Claire Williams au 21 bis (Aix). © Pierre Gondard

Cette entité qui rassemble associations, producteurs.trices, programmateurs.euses et artistes, c’est HACNUM, le réseau national des arts hybrides et cultures numériques. 

Au-delà de CHRONIQUES, évènement notable dans le paysage des arts numériques, l’existence d’HACNUM illustre la volonté des ses acteurs.trices de continuer d’avancer dans un paysage actuel plutôt dramatique pour le monde de l’art et de la culture. En numérisant une partie de sa biennale en temps de pandémie, CHRONIQUES se pose en prototype de ce que l’usage créatif et intelligent des technologies peut apporter dans le cadre du développement culturel, et, en continuant de collaborer en temps de crise sanitaire, les membres du réseau HACNUM proposent le scénario d’un futur possible pour la culture. L’un ne va pas sans l’autre et les deux fonctionnent de concert.

Digitaliser : Pour qui ? Pour quoi ?

S’adapter aux circonstances particulières de cette crise du COVID (procédure de distanciation, gestes barrières, télétravail) a-t-il été plus facile pour ces acteurs.trices des arts hybrides et des pratiques artistiques numériques ? Pas forcément si l’on écoute leurs différents.tes représentants.es.

Comme le signale Mathieu Vabre, co-directeur Seconde Nature/ZINC et CHRONIQUES. « la pandémie nous a obligés, comme les autres, à imaginer de nouvelles façons de collaborer et de travailler, mais aussi de présenter une biennale avec deux scénarios différents : une possible présentation traditionnelle en public, et un plan B en ligne. Finalement, un peu comme tout le monde nous avons été poussés par la force des choses à revoir nos positions dans de nombreux domaines et à inventer de nouvelles façons de faire découvrir les œuvres proposées. C’est une bonne chose, cela nous a permis de mettre en place de nouvelles stratégies, mais cela n’a pas été sans effort. ».

En effet, proposer deux jours de rendez-vous au sein desquels les professionnels.lles de la culture et des industries créatives furent invités.es à vivre une série d’expériences uniques (tables rondes, présentation du Marché International des Arts Numériques, performances, présentation de l’invité d’honneur : Taïwan, etc.), en présentiel ou en ligne, n’est pas si facile, même dans le champ déjà digitalisé des arts dits « numériques », surtout en l’absence du public. 

Le Marché International des Arts Numériques en format hybride pour CHRONIQUES 2020. ©Hugo Bougoin

Reste l’essentiel : « L’importance et le plaisir de continuer à montrer » comme le dira Céline Berthoumieux, co-directrice Seconde Nature/ZINC et CHRONIQUES et présidente du réseau national HACNUM, lors de son discours inaugural du 14 janvier au matin. Une déclaration qui concerne aussi la question de la visibilité publique, et dont la digitalisation comprise ici comme un complément à l’événement et non pas comme un remplacement, est une forme de réponse évidente : rendue éternelle par la mise en ligne de contenu narratif (trois belles vidéos thématiques) et d’événements proposés sur les réseaux sociaux, CHRONIQUES pérennise le travail de ses équipes, permet au public de découvrir toute l’année des œuvres contemporaines originales et essentielles à la compréhension de notre époque, tout en renforçant la cohésion d’un réseau national dont on a l’impression que la crise actuelle a réussi à dynamiser les actions.

HACNUM, la culture en transition numérique

L’usage de la citation de Pascal Desfarges proposée en ouverture de cet article parle bien évidemment avant tout des tiers-lieux, mais cette petite phrase s’applique également aux initiatives et aux efforts déployés depuis le début de la crise par les acteurs.trices des cultures numériques qui n’ont jamais baissé les bras, particulièrement au sein du réseau national émergent qu’est HACNUM. « Il n’est nul besoin d’espérer pour entreprendre » était déjà le titre d’un des numéros de Planète Laboratoire[3], un outil de réflexion destiné à soutenir des productions artistiques originales dirigé par l’actuel rédacteur en chef de Makery, Ewen Chardronnet (présent au cours d’une exposition/performance initiée par le collectif DISNOVATION.ORG) en 2008. Une phrase qui peut aussi largement s’appliquer au travail effectué par les acteurs.trices du réseau HACNUM. 

Assemblée générale HACNUM - Metz - Octobre 2020
Assemblée générale HACNUM à Blida (Metz) en octobre 2020

A l’image de nombreuses initiatives de collaborations et de productions à distance qui ont émergé dans le monde durant la première vague de la crise sanitaire que nous subissons, les membres et partenaires du jeune réseau HACNUM ont dû inventer et s’adapter à de nouvelles exigences, créer de nouvelles façons d’être ensemble… à distance ! Résister au choc (la définition originelle de « résilience »), cultiver coûte que coûte un certain optimisme (une croyance en tout cas, dans un futur possible peut-être inhérent à cet écosystème) mais aussi et surtout, échanger et communiquer entre collaborateurs.trices, travailler dans une convergence d’intérêts liés par le partage d’idéaux et de philosophies communes dont les mots clés sont « synergie », « solidarité », « collaborations transectorielles », l’essence même du réseau HACNUM. Des axes et des actions qui ont eu pour résultat le maintien du Festival ON (entre Avignon, Tarascon et Arles), ou l’ouverture de certains lieux pour CHRONIQUES entre Aix et Marseille, mais aussi l’union des lieux et festivals normands ]Interstice[ (Caen), Maintenant (Rennes) et Stereolux (Nantes) avec la création d’AMBIVALENCES, un cycle de rencontres et d’évènements qui questionnent le numérique à travers ses mutations dans une thématique environnementales (pour 2020/2021), du vivant (2021/2022) et politiques (2022/2023). 

Dans ce contexte plus que difficile pour les acteurs.trices de la culture tous domaines confondus, l’union fait plus que jamais la force. Les initiatives et les nouvelles pistes imaginées par le réseau hybride et transsectoriel qu’est HACNUM – à l’échelle des différents territoires qu’il couvre mais aussi au national – sont évidemment à pérenniser et à consolider. La mutation des festivals, l’effort de digitalisation des évènements, dont CHRONIQUES est un exemple émergent, est certainement aussi à soutenir. Et c’est le rôle, indispensable, des pouvoirs publics, qui doivent être à l’écoute des efforts de mutation entrepris par ce secteur. 

Dans le cours de l’histoire il existe ce que le philosophe Gershom Scholem nomme « des heures plastiques ». « Des moments où si vous agissez, il se passe quelque chose. »[4]. Ces moments sont rares, ils apparaissent souvent au moment d’une crise et nécessitent un bon alignement de l’opinion publique, des pouvoirs politiques et des évènements. Savoir capter (et capturer) ces instants nécessitent aussi de l’agilité et une grande souplesse. C’est instinctivement ce que tentent de faire les acteurs.trices des réseaux des pratiques artistiques hybrides et des cultures numériques en travaillant sur les imaginaires de régénération et en favorisant l’apparition de microsystèmes résilients, qui, réunis dans une synergie globalisante rendent possible l’élaboration de futurs. Dans le domaine de la culture, mais partout ailleurs également.

Maxence Grugier, auteur, journaliste et commissaire d’exposition


[1] https://tikographie.fr/2020/12/pascal-desfarges-les-tiers-lieux-et-la-resilience-des-territoires

[2] https://hacnum.org/reseau/

[3] http://docplayer.fr/336960-Il-n-est-nul-besoin-d-esperer-pour-entreprendre.html

[4]  https://hac.bard.edu/amor-mundi/our-revolutionary-moment-2020-09-17 (Gershom Scholem, cité par le journaliste George Packer dans “Our Revolutionary Moment”)