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Des œuvres numériques pour redécouvrir les espaces publics (Focus Constellations)

Article publié le 02/12/2024

  • #RETEX

Temps de lecture : 4min

Un oiseau de passage – Luminariste

Incontournable dans la région Grand Est et au-delà, le festival Constellations de Metz a célébré sa 8e saison cet été. Avec 35 œuvres majoritairement inédites réparties sur une quarantaine de lieux, cette édition a accueilli près d’un million de visiteurs de la mi-juin à la fin-août. Outre une programmation d’art urbain riche d’une dizaine d’œuvres, deux circuits étaient proposés (“Pierres Numériques” et “Arts et Jardins”) permettaient de redécouvrir les espaces publics et le patrimoine paysager de la Moselle et ses abords. Espace(s) Libre(s) : la liberté comme cheval de bataille.

Dirigés par l’architecte et artiste plasticien Jérémie Bellot, ces deux parcours, bien que distincts, partagent une thématique commune : “Espace(s) Libre(s)”. S’y développe une même envie d’“examiner, tant dans la singularité que dans la pluralité, les notions de liberté et d’oppression, d’appropriation et de partage.” Bien sûr, on songe d’abord à l’espace public, puisque le festival investit la ville, du jardin Fabert, à la majestueuse Cathédrale Saint-Étienne, en passant par la Moselle elle-même avec l’œuvre éponyme Constellations.

Les espaces sociaux sont également mis à l’honneur, notamment avec Masha, œuvre des artistes ukrainiens Anton Dehtiarov, Marek Kvetán et Svitlana Reinish. Inspirée des emblématiques matriochka, la poupée russe semble ici livrée à son destin, abandonnée sur le pavé. Ce projet créé en réponse au conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine aborde de manière pop et légère les notions de “territoire et de frontière […], de liberté et d’espace social [lorsqu’elles] sont mises à l’épreuve par différentes structures, que ce soit les structures du pouvoir ou les structures en lien avec la question de la propriété.” Espaces métaphysiques enfin, abordés avec des œuvres comme Oh Lord! de Guillaume Marmin qui interroge “ces concepts d’infini, de divin […], cette vision mystique que l’on peut avoir vers l’astre solaire.” Nourrie par diverses bases de données sur l’observation du Soleil, l’œuvre impressionne par la puissance esthétique qu’elle dégage, renforcée par la sobriété et le dépouillement de l’Église des Trinitaires qui l’accueille.

Oh Lord ! – © Martina Mlcuchova

En investissant la ville, les œuvres de Constellations permettent une réappropriation des espaces urbains, souvent perçus comme fonctionnels, en les transformant en lieux de contemplation et d’interaction. Bien plus qu’un simple décor, chaque espace devient pour quelques heures l’acteur d’un dialogue artistique entre passé et futur. Pour le public, cette interaction repense l’espace urbain comme un lieu de rencontre culturelle et de réflexion sur les enjeux contemporains, stimulant leur curiosité pour leur environnement immédiat. 

Revitaliser le territoire, par delà les frontières

On retrouve ce contraste entre œuvre et lieu à travers les deux séquences du mapping vidéo de la cathédrale, mais il est particulièrement frappant dans le cas de la Basilique Saint-Vincent, désacralisée en 2012. La suspension dans la nef de l’édifice d’Un oiseau de passage du duo Luminariste (Benjamin Nesme & Marc Sicard), sculpture lumineuse monumentale décomposant le vol d’un oiseau, est un défi technique rendu possible par la détermination de l’équipe du festival. “En tant qu’architecte, je suis habitué à travailler avec les contraintes pour créer un projet à partir de celles-ci. Ce sont [elles] qui façonnent mes idées, notamment sur le parcours” précise Jérémie Bellot. Le résultat est à la hauteur des attentes : l’œuvre s’intègre parfaitement dans la Basilique, elle paraît flotter dans la nef où résonne les battements d’ailes et de délicats ramages. Le duo n’en est pas à son coup d’essai, le projet faisant écho à leur précédent projet L’envol, présent sur le parcours diurne depuis trois ans.

C’est justement l’une des grandes nouveautés de cette édition : le commissaire d’exposition dirige pour la première fois le parcours “Arts et Jardins” en plus du parcours “Pierres Numériques” qu’il développe déjà depuis plusieurs années. En résulte un lien renforcé entre les deux, avec la présence d’œuvres telles que Dream Mapping mettant en scène le travail en réalité augmenté de huit artistes femmes internationales dont la Canadienne Sabrina Ratté ou l’Algérienne RankSSS alias Sabrina Guechetouli.On a quand même une volonté d’activer l’espace public, et d’aller un petit peu plus loin que le centre historique, [pour étendre] aussi le territoire et le parcours de visite pour le visiteur”.

Flottante chromatique – © Philippe Gisselbrecht

Dans cette même optique, le parcours Pierres Numériques ouvre les portes d’espaces jusqu’ici peu ou pas accessibles au public. C’est le cas de la Basilique Saint-Vincent déjà mentionnée, du cloître des Récollets ou encore de la Chapelle Sainte-Blandine, au cœur d’un projet culturel ambitieux pour les années à venir. En investissant ces lieux emblématiques, Constellations participe à la revitalisation du territoire, stimulant l’économie locale par l’afflux de visiteurs tout en renforçant l’identité culturelle de Metz et de la région.

Nouveaux points de rencontre avec la Culture

Gratuit et librement accessible dans les rues de Metz, l’événement joue un rôle crucial dans la démocratisation de l’art numérique, touchant une audience bien plus large et diversifiée que dans les espaces institutionnels habituels. Directement installées dans l’espace public, chaque projet est un un point d’entrée unique et ludique à la culture pour les publics qu’ils soient initiés ou complètement novices.

Rencontres entre des œuvres, des lieux et un public, le festival l’est aussi pour les artistes : “on essaie d’accompagner les projets artistiques, notamment sur des rencontres ou des collectifs émergents, pour pouvoir leur donner les clés, et pousser des artistes à développer leur parcours artistique personnel, et à se professionnaliser. Black out in variation est un très bon exemple : réunissant le Collectif 804, Desaxismundi, Catmac et Romain Barthélémy, ce spectaculaire projet sous dôme a bénéficié d’une résidence de création au sein du tiers-lieu BLIIIDA, accompagné par différents partenaires institutionnels de premier plan.

Black out in variations – © Philippe Gisselbrecht

Le festival s’inscrit enfin à travers la région Grand Est dans une dynamique d’achat et de co-production d’oeuvres. “Il y a plusieurs projets qui émergent dans ce sens-là, notamment ce qu’on a lancé avec la région […] on est vraiment dans une logique de catalogue d’œuvres acquises par la région, de collection d’œuvres”.  Cette cohésion territoriale, renforcée année après année, ancre le festival dans le paysage culturel régional. Une synergie puissante, susceptible de propulser la scène locale et nationale, et faire définitivement de Constellations l’un des festivals phares de l’été pour les arts et cultures numériques. À l’échelle nationale, et peut-être même plus ?

Rédaction Romain Astouric

Pour aller plus loin, découvrez le podcast de l’interview entre Romain Astouric et Jérémie Bellot.

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